• Le Brésil affronte le Ghana en match amical, ce vendredi soir au Havre, avant de rencontrer la Tunisie mardi prochain au Parc des Princes.
  • Depuis des années, la Seleçao multiplie les rencontres aux quatre coins de la planète dans le cadre du « Brasil Global Tour », un habillage marketing dont la Fédération a confié la gestion à la société Pitch International.
  • Les tournées du Brésil ne peuvent toutefois pas être résumées à un grand cirque ambulant, comme on pourrait parfois se l’imaginer, où le staff technique et les joueurs subiraient la loi d’une cupide agence de marketing.

La question fait sourire Clément Calvez, le directeur du développement du club du Havre. En même temps, ça doit être la millième fois qu’on la lui pose depuis l’annonce de la venue du Brésil, ce vendredi, pour un match amical face au Ghana au stade Océane. « C’est marrant, tout le monde a l’air très surpris que Le Havre puisse accueillir le Brésil », fait-il remarquer alors que l’on cherche à savoir comment s’est bouclée l’affaire. On doit bien l’avouer, on n’aurait pas naturellement associé la ville portuaire de Normandie à la samba, même depuis la fausse arrivée d’Adriano. Mais ce n’est pas tout à fait l’objet de notre démarche. Il s’agit plutôt de comprendre la manière dont fonctionne le « Brasil Global Tour », véritable marque déposée de l’organisation des matchs amicaux de la Seleçao partout dans le monde.

60 amicaux sur les six continents depuis 2012

Son origine n’est pas un mystère. La Fédération brésilienne (CBF) a confié en 2012 la gestion de toutes les rencontres non officielles à la société Pitch International, jusqu’à la fin de cette année 2022. Rien d’extraordinaire là-dedans, les sélections nationales comme les clubs sont nombreux à avoir recours à ce type de service. Mais l’agence de marketing basée à Londres a tout de même bien poussé le concept, prenant le contrôle de tous les à-côtés, y compris les droits commerciaux, de diffusion et de sponsoring. Un joli coup, quand on parle de l’équipe de foot la plus connue et la plus titrée du monde.

Depuis la signature du contrat, le Brésil a disputé 60 matchs amicaux, sur tous les continents. Neymar et sa bande se sont ainsi produits en Autriche, en Turquie, aux Etats-Unis, en Australie, en Chine, au Japon, en Arabie Saoudite, en Angleterre, en Corée du Sud, à Singapour… et de temps en temps, quand même, au Brésil. Le tout savamment orchestré, financé par de grandes marques comme Gillette puis Chevrolet, et documenté sur les réseaux sociaux grâce à un compte Instagram dédié. Chaque match rapporterait en moyenne environ 3 millions de dollars (2,70 millions d’euros) bruts à la CBF et à son agence partenaire, selon une estimation d’experts relayée par L’Equipeen 2019. Chiffre non confirmé par Pitch International, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.

Bien sûr, le fait de jouer plus souvent en Europe que partout ailleurs correspond à une certaine logique. La grande majorité des internationaux brésiliens évolue sur le Vieux-Continent, et s’épargne donc de longs allers-retours vers l’Amérique du sud. Au pays, cet état de fait a fini par lasser les supporters. « Les gens ici ont commencé à dire, pour rigoler, que l’Emirates Stadium [le stade d’Arsenal] était le nouveau Maracana, nous raconte le journaliste brésilien Luis Augusto Monaco. Au début, les fans étaient un peu en colère, mais aujourd’hui ils se sont habitués. En fait, les gens n’ont plus une grande passion pour leur équipe nationale. »

Si les Brésiliens suivent toujours attentivement les grandes compétitions, Copa America et Coupe du monde, cela fait un moment qu’ils ont arrêté de s’intéresser aux matchs amicaux. « Les audiences télé sont très en dessous de ce qu’elles étaient, poursuit notre confrère brésilien, basé à Sao Paulo. Les matchs sont le matin ou l’après-midi, les gens ne sont pas chez eux. Ça les ennuie, même quand un joueur de leur équipe est sélectionné, car le championnat ne s’arrête pas aux dates Fifa et il faut jouer des rencontres sans les meilleurs éléments. Jusque dans les années 1990, avoir un joueur en équipe nationale était une fierté. Aujourd’hui, c’est plus dérangeant qu’autre chose. »

Le business en retrait

Les tournées du Brésil ne peuvent toutefois pas être résumées à un grand cirque ambulant, comme on pourrait parfois se l’imaginer, où le staff n’aurait pas son mot à dire face aux velléités commerciales d’une cupide agence de marketing. La venue de la Seleçao au Havre en est un exemple. Au départ, le Brésil devait affronter l’Argentine jeudi, dans le cadre d’un match à rejouer des qualifications à la Coupe du monde. Les deux nations ayant déjà leur billet, elles ont convenu avec la Fifa d’une annulation pure et simple, officialisée le 16 août dernier. Une date s’est donc libérée et il a fallu trouver dans l’urgence un adversaire et un stade, pas trop loin de Paris, où un match amical face à la Tunisie était déjà calé pour le mardi suivant. Pitch International, guidée par l’agence française Evolv Sports, a jeté son dévolu sur le stade Océane. Pierre Inquel, agent de matchs Fifa et patron d’Evolv Sports, observe :

Le Havre n’était pas la seule option. Si la priorité était le business, ils auraient choisi un autre adversaire, avec une communauté en France plus importante, et un stade plus grand. Il ne faut pas croire, le coach a plus de pouvoir que n’importe qui à la Fédération pour imposer ses choix. »

Confirmation auprès du Hac. « Une délégation brésilienne, avec le sélectionneur et le manager général, est venue visiter nos infrastructures, notre centre d’entraînement, notre stade. Le lendemain, les choses étaient validées, explique Clément Calvez. Ce qui a fait la décision, c’est vraiment la qualité des bâtiments et des terrains. » A deux mois de la Coupe du monde au Qatar, ce stage est d’une importance cruciale pour Tite afin de peaufiner les derniers réglages. La priorité était bien de bosser dans de bonnes conditions, avec un club qui accepte de louer les vestiaires et les salles de travail de son équipe première. Pas une si mince affaire, même si quand on s’appelle le Brésil, les portes s’ouvrent toujours un peu plus facilement.

Autre bon point relevé par le dirigeant havrais, l’écoute dont ont fait preuve la Fédération et son agence concernant le prix des places. Selon le deal conclu, elles versent au Hac une somme («qui ne bouleversera pas l’économie du club », précise-t-il sans donner plus de détails) pour leurs services, et se rémunèrent avec les recettes de la billetterie. Pour autant, elles ne sont pas arrivées avec leurs gros sabots en imposant des places à 100 euros minimum en mode « vous êtes gentils mais on est le Brésil et on apporte un peu de joie au bas peuple normand ». Le Hac a conseillé une fourchette allant de 15 à 45 euros, et a été suivi, sans discuter.

« Ce sont des prix tout à fait raisonnables. Leur objectif était vraiment que tout se passe bien, que tout le monde soit content, qu’ils rentrent dans leurs frais aussi bien sûr, mais que le stade soit plein et que ce soit une belle fête, assure Clément Calvez. C’est un sujet important pour eux. » Evidemment, les billets sont partis en quelques heures. Les 25.000 places du stade Océane, comme les 48.000 du Parc des Princes, seront garnies.

La CBF et Pitch International tentent ainsi d’allier au mieux intérêts commerciaux et impératifs sportifs. « Ils procèdent à un arbitrage, selon le moment dans la saison et les compétitions à préparer », éclaire Pierre Inquel, qui a eu affaire aux Brésiliens plus d’une fois. En résumé, feu vert pour des tournées au Moyen-Orient ou en Asie dans une période creuse pour remplir les caisses, mais fini de rigoler l’année précédant un Mondial (sauf en 2013, quand ils n’avaient que ça à faire car exemptés de qualifications en tant que pays hôte).

Problème d’adversité ?

L’agence britannique aurait donc contribué à remettre de l’ordre chez les Harlem Globetrotters, après la peu glorieuse époque ISE, une société écran basée aux Iles Caïmans avec qui l’ancien grand manitou de la CBF, Ricardo Teixeira, avait fait affaire. Une enquête publiée en 2015 par le journal O Estadao avait révélé la signature d’un accord secret donnant la main aux sponsors sur la liste des joueurs appelés en sélection. Teixeira, pris dans divers scandales de corruption, avait dû quitter son poste début 2012, après 22 ans de règne.

Sélectionneur à l’époque de la signature du nouveau partenariat, Luiz Felipe Scolari avait insisté pour que le staff conserve un certain poids dans les prises de décision, histoire de s’assurer d’un calendrier cohérent et d’une adversité de qualité, comme expliqué dans un papier du Telegraph datant de 2013. Si le premier point semble acquis, le second est plus compliqué à satisfaire, surtout depuis que l’UEFA a lancé sa Ligue des Nations.

« Comme les équipes européennes sont prises à chaque date, le Brésil se retrouve avec peu d’opportunités pour des matchs de très haut niveau, note Carlos Mansur, un confrère du quotidien sportif O Globo. Il y a un manque de variété dans les matchs de préparation, et cela inquiète grandement le staff technique de la Seleçao. » Qui aura certainement remarqué que depuis le dernier titre mondial en 2002, le Brésil a toujours été éliminé par une équipe européenne. Si le scénario se répète au Qatar, Pitch International devra certainement faire en sorte que cela change pour espérer faire perdurer la marque.

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